Surveillance ferroviaire

 

 

 

Dans tous les pays soumis à un conflit armé, l’activité ferroviaire, de par l’importance de son implication en tonnages de matériels et marchandises et nombre de personnels et voyageurs transportés, a toujours représenté une cible pour les belligérants.
L’Algérie, avec ses quelque 2 350 kilomètres de voies à écartement normal et 2 150 kilomètres de voies étroites, a, dès 1955, été de la part du FLN, le théâtre d’attentats visant à détruire du matériel ferroviaire.
Ce sont, dès 1956, des Compagnies des Régiments de Zouaves, les Compagnies de Circulation Routière et Bataillons duTrain qui se voient confier la responsabilité de la surveillance jour et nuit du réseau ferré algérien.
Les matériels mis en service sur les voies ferrées s’articulent autour de diverses draisines purement ferroviaires conçues à l’origine pour le transport d’équipe d’entretien des voies, mais aussi véhicules routiers militaires modifiés pour rouler sur les voies ferrées tels les Dodges et les Jeeps équipés de roues ferroviaires.
Inexpérience de la protection par du matériel spécifiquement ferroviaire montrant ses limites, les Compagnies de Circulation Routière renforcent l’escorte des convois par des pistes parallèles à la voie ferrée où circulent des jeeps, scout-cars et half-tracks avec leur armement.
Raymond Marillier, opérateur radio de la CCR 271 de Batna, indique que l’activité principale de surveillance du réseau ferré se situe de nuit. L’objectif est d’imposer sa présence avec de fréquents passages dans les deux sens à des intervalles irréguliers, ces mouvements devant perturber les saboteurs et poseurs de mines sur les voies qui agissent de nuit. Parfois, un hélicoptère léger genre Bell H34survoe la voie ferrée de jour comme de nuit, créant un climat d’insécurité pour les rebelles.
Les draisines des Chemins de Fer Algériens, de divers constructeurs avec des motorisations de faible puissance, sont aménagées avec des blindages légers mais bénéficient d’un armement conséquent genre mitrailleuse 12,7 et FM 24/29.
Mais, au début de leur activité en 1956, seul l’armement léger individuel des militaires est présent dans ces escortes. Ainsi, Marcel Pilon, du 504e Bataillon du Train, qui circule en 1956 sur la portion de voie SBH. El Affroun-Affreville-Les Attafs, possède pour tout armement pour cinq « tringlots », un PM Thomson M1A1 et 4 fusils US modèle 1917.
Ce sont des Dodge 4X4 WC51 qui sont, dès le début, aménagés avec roues ferroviaires avec un blindage plus ou moins conséquent. Des Dodge scout-cars sont aussi aménagés en version ferroviaire blindée. Le matériel se perfectionnant au fil des incidents rencontrés, certains Dodge sont aussi équipés de roues ferroviaires avec un bandage caoutchouté qui leur permet de rouler en silence et surprendre les poseurs de mines en s’approchant d’eux à seu lement quelques dizaines de mètres.
Le but recherché est atteint, les saboteurs sont interrompus dans leur besogne, l’ouverture de voie et les trains suivants, marchandises ou voyageurs, peuvent passer sans encombre.
Si au début des attentats, la pose de mine était basique avec un déclenchement provoqué par la pression sur la mine de la première roue du convoi, soit la draisine, la Direction duTrain est venue tout normalement modifier la composition de ses convois.
Ainsi, la draisine poussait deux wagons plate-forme qui étaient destinés à subir les mines. Si une des roues de ces wagons actionnait la mine, la draisine était intacte. Alors, entre en action ce que nous connaissons sous le mécanisme de la mine à prèssion à crémaillère. Le déclenchement de la mine est réglé au 4e ou 5e cran de la crémaillère. Dans le cas du 4e cran, c’est une des roues arrières du deuxième wagon qui saute, si le réglage est fait sur le 5e cran, c’est une des roues avant de la draisine qui saute. Le but recherché par les rebelles est, bien entendu, de détruire la draisine. Pour contrecarrer cet objectif, des instructions sont données à l’escorte du convoi de modifier constamment, voire toutes les deux gares, la position de la draisine dans le convoi. Elle se retrouve ainsi soit en 1re, 2e ou 3e position avec les wagons plates-formes. Ces dispositions ont pour résultats de faire chuter considérablement d’une année à l’autre le nombre des draisines ou motrices détruites ainsi que d’épargner des vies aux personnels des escortes.
L’escorte par Jeeps, Dodges WC51 et half-tracks sur la piste tout terrain parallèle à la voie ferrée n’est pas exemptée de subir les attentats par la pose de mines sur son supposé tracé. J’ai pu joindre le conducteur Bernard Chapuis de la CCR 271, classe 58 2/A incorporé direct au CIT 160 de Béni Messous, qui a survécu à cette explosion après avoir été évacué dans le coma à Alger. Cette jeep, accompagnée d’un Dodge scout-car, est envoyée à 1 h 30 dans la nuit du 24 juillet 1959 à la rencontre d’un groupe de rebelles signalé le long de la voie ferrée proche de El Kantara. La jeep saute sur une mine sur une piste près de Tchemora. Bernard Chapuis n’a depuis ce 24 juillet 1959, aucun souvenir des événements et du temps écoulé entre le soir de cette journée où il se couche dans son lit Picot et son réveil 16 jours après à l’hôpital Maillot à Alger. Ensuite, rapatrié sanitaire à l’hôpital militaire Desgenettes à Lyon, Bernard a terminé le temps de la durée de ses obligations militaires (soit 28 mois) en France. Bernard Chapuis est décoré de la Médaille Militaire et de la Croix de la Valeur Militaire avec étoile de bronze. Le lieutenant X, chef de bord de cette jeep, qui avait pris la place du conducteur, a été mortellement blessé au volant de la jeep. Une autre situation rencontrée pour la protection des voies : des patrouilles à pied qui ouvrent la voie en scrutant le ballast ainsi que la bonne continuité du rail. Un témoignage du sergent-chef R.L. du 4e Régiment de Tirailleurs
«… pendant plus de 6 mois, mes pieds souffriront des brûlures du ballast et mes yeux se troubleront à force de fouiller méthodiquement les traverses et ses intervalles sans omettre de jeter un œil sur les côtés du rail ». La pénibilité de ces marches se ressent par la chaleur des rails sous le soleil, transmise à la plante des pieds pour les gens chaussés de Pataugas.
L’efficacité des diverses méthodes d’amélioration de surveillance des voies ferrées en Algérie se retrouve dans les résultats obtenus : de 870 attentats en 1957, ces derniers décroissent tous les ans pour passer à 89 en 1961.
Michel Duparet

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